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SanDraMa
21 avril 2009

Bourdi à la ferme : présentation

Etape d'un processus de création collective


Il était une fois six personnes habitées par la passion du théâtre.

Six personnes dont les chemins se sont croisés sur les planches lyonnaises.

Six personnes qui se sont choisies et ont décidé de mêler leur destin pour concrétiser une envie.

Six personnes réunies une semaine d’août, en huis clos, dans un gîte creusois.

Six personnes qui, d’une seule voix, vont tenter en amateur d’enfanter une création théâtrale.

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« Je voudrais traquer la réalité jusqu’à ce qu’elle devienne imaginaire, reprendre l’imaginaire et me servir de la réalité, faire de la réalité, revenir à l’imaginaire. »

 

Murs-murs, Real. Agnès Varda, 1980

 

Tout commence un jour d’automne, lors d’un footing et d’une discussion entre deux amis. L’un d'eux évoque l’envie de créer. Créer une pièce de théâtre ou autre chose… Quoi ? Il ne le sait pas encore exactement. L’essentiel serait de créer sur une dynamique où chaque participant serait auteur à part entière. C’est ainsi qu’ils partirent deux du parc de la Tête d’Or et par un prompt renfort se virent à six en arrivant à la ferme de Drouillas.

 

Nous sommes à présent en été et il y a Bourdi dans la Creuse. Pourquoi Bourdi ? Simplement parce que tous ayant des vies assez chargées, et le théâtre n’étant pas leur activité principale, ils se sont créé un huitième jour qui leur est réservé : le Bourdi. Finalement Bourdi, ça peut être n’importe quand. Et pour la première fois, il va y avoir Bourdi pendant sept jours consécutifs. Le Bourdi n’est plus un jour, mais une semaine.

 

Depuis dix mois ils improvisent. De ces élans créatifs ont émergés six personnages en construction et un outil : l’absurde. Réunis dans cette bergerie devenue pour l’occasion lieu de création, il s’agit surtout de poser les fondations pour pouvoir entamer les gros travaux. Mais c’est un long chemin à débroussailler, semé d’embûches où il faut suer, peiner et douter. Stimuler le corps et le collectif par la danse. Affûter le maquillage pour enrichir l’expression et improviser pour mieux ressentir les personnages. Jouer pour générer des rencontres et nourrir l’imaginaire. Expérimenter l’écriture à deux, à trois puis à six. Retourner sur scène, tester, vaciller, puis reprendre la plume. 

 

Franck, Fabien, Patricia, Sophie, Jérémy et Maud sont six individualités imposantes. Chacun porte en lui ses idées et ses envies, faisant de la création une continuelle découverte, un perpétuel échange, un dialogue incessant. Pour nos protagonistes il n’y pas de limite à la création collective, elle demande juste un peu plus de patience et surtout une grande confiance dans le groupe. Dépassant leurs incertitudes, nos héros fatigués mais néanmoins heureux, finissent par coucher sur le papier un récit avec un début, un milieu et une fin. Cerise sur le gâteau, ils entament même la rédaction de la continuité dialoguée. À présent, ils sont acteurs d’une histoire qui leur appartient.

 

Le Bourdi à la ferme est l’instantané d’une étape courte mais charnière d’un processus de création collective avec un passé et un futur. À tâtons, ils ont cherché, ici et ensemble dans un parfait huis clos, la voie qui leur va leur permettre de passer de l’éphémère qui est le leur depuis le début, à quelque chose de plus stable et de plus concret. Ainsi, de retour au lundi/Bourdi Lyonnais, il faudra trouver une nouvelle énergie et continuer ardemment le travail d’écriture avant d’amorcer les prochaines étapes de ce long processus : l’interprétation et la mise en scène qui les mèneront peut être jusqu’à une représentation et une confrontation avec le public.

 

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« Dans un documentaire, il y a toujours distorsion :

d’une certaine manière, le film documentaire reste une fiction du réel... »

Frederik Wiseman

Immersion par la distance

Jouer c’est se mettre à nu. Jouer c’est faire confiance. Parce que j’ai eu l’occasion d’improviser avec chacun d’entre eux, parce que je me suis moi aussi mise à nu et parce que nous nous sommes choisis, les membres du Bourdi m’ont ouvert leur porte et leur intimité. Ils m’ont offert cet accès privilégié, qu’ils n’auraient autorisé à personne d’autre, tant la pratique de l’improvisation libre et la construction de personnages nécessitent un parfait abandon. Un lâcher prise qui mène à la rencontre de soi et de l'autre. Une rencontre dont je suis moi-même partie en quête. Cependant la confiance, même donnée, est quelque chose de fragile qui doit se cultiver. C’est pourquoi j’ai choisi dés le début des prises de vues de m’immerger par distanciation en restant discrète autant physiquement et qu’intellectuellement. J’ai eu l’exigence de ne rien imposer, même pour des raisons techniques. J’ai eu la volonté de m’interdire toute intervention personnelle pouvant interférer sur la progression naturelle de leur démarche. Je me suis adaptée à leur rythme, leur lieu et leurs hésitations, me mettant complètement au service de ce qui se jouait devant moi. C’est ainsi que nous nous sommes rencontrés. C’est ainsi qu’ils ont pu rester eux-mêmes, sans se soucier de l’image qu’ils me donnaient, celle-ci même qui resterait inscrite sur la bande, et que j’utiliserai avec la déformation de ma vision et de ma sensibilité. Cette image qui au bout du compte leur échapperait. C’est ainsi que je me suis fait oublier pour mieux recueillir leurs impressions et saisir leur expérience unique. C’est ainsi qu’ils se sont livrés à moi en toute honnêteté, même lors des moments où le processus se grippait. Étapes pénibles qui les ont amenés à leurs propres limites : peut-on être à la fois juge et partie, comment vivre son personnage et le mettre en scène, finalement est-ce possible d’être à l’intérieur et à l’extérieur, rester soi-même tout en étant à l’écoute ?

 

Art et Ruralité

La découverte du lieu a été un choc. Le chaos règne dans la bergerie qui, avec une large ouverture sur l’extérieur, impose un mélange des lumières tout en laissant filtrer l’activité de la ferme. De même, pendant que s’opère sur scène la magie du théâtre, se joue dans le ciel des questions vitales. En effet, l’espace occupé abrite également une trentaine de nids d’hirondelles remplis d’oisillons affamés qu’une mère concernée tente toute la sainte journée de rassasier. Les lois de la nature sont effectivement indiscutables et cruelles, et il est parfois difficile de prendre son premier envol ou tout simplement de rester dans le nid. C’est ainsi qu’en pleine allégresse théâtrale, les membres du Bourdi ont été confrontés à la mort prématurée de plusieurs petits, venus s’effondrer sur cette scène, lieu hautement symbolique du faux-semblant. A posteriori, cet univers imposé qui m’a semblé de premier abord être une grande faiblesse, s’avère être un formidable atout. En effet, ce lieu atypique, avec ses pierres apparentes et la vie qu’il contient, apporte un réel cachet esthétique ainsi qu’un mélange incongru peu commun d’art et de ruralité. Cette perception tranche nettement avec l’image sombre d’un lieu clos associée aux salles de spectacles, et apporte une agréable fraîcheur. La particularité de cette atmosphère, je souhaite pleinement l’exploiter pour nourrir l’originalité de mon projet. Plus qu’un lieu, la Ferme de Drouillas est le décor un peu magique dans lequel, pour un instant, mes personnages évoluent, jouent, vivent et créent.

 

Un film choral

Je me suis entretenue avec chacun d’entre eux, en face à face et à l’abri des regards d’autrui. La base de l’interview a été la même pour chacun, avec parfois quelques variantes concernant des questions plus personnelles ou relatives à l’évolution de la semaine. Cet échange confidentiel, je l’envisage comme l’essence même de la narration. Chacun ayant une personnalité forte et attachante, j’ai refusé délibérément de mettre en avant un personnage plutôt qu’un autre. De plus, un choix unique serait en totale opposition avec la particularité de leur démarche et donc avec le sujet. Ils sont maîtres d’une création où chacun évolue et s’exprime de manière égale. De ce fait, je souhaite faire un film choral où ils seraient ensemble le narrateur de leur propre histoire. De plus, je préfère la simplicité de leurs voix à la dramatisation excessive d’une narration extérieure. Ainsi, l’entrelacement de leurs paroles, en voix over ou non, guiderait par lui seul le spectateur du début jusqu’à la fin du récit. C’est ainsi que les membres du Bourdi et le public se rencontreraient. C’est ainsi aussi que l’on pénétrerait aux limites du réel, au cœur d’un univers aux frontières un peu floues.

 

Aux frontières des œuvres

Le Bourdi à la ferme contient deux univers. Un premier imaginaire et absurde, et un second qui s’apparente à la réalité. Dans ce dernier évoluent six individus qui tentent de relever, maladroitement mais avec beaucoup d'élan et de sincérité, un défi humain et artistique ambitieux. Dans l’autre, ces six compagnons d’aventure revêtent les personnalités d’êtres fictionnels. Ceux-ci même qui, réunis malgré eux dans un même lieu, doivent composer et faire face à l'incohérence d’un monde régi abusivement par l’administratif et le commercial. Le film documentaire scrute à la fois les protagonistes du réel jouant leur propre rôle et inversement les acteurs puisant dans leur vécu personnel pour faire exister leurs personnages imaginaires. Il s’alimente à la fois du concret de leur expérience d’hommes et de femmes ainsi que du divertissement généré par leur performance de comédiens. J’ai effectivement l’ambition d’aller bien au-delà du reportage ou de la simple revue de création qui relaterait une progression avec ses joies et ses embûches. Je souhaite faire de la matière première de l’œuvre dont je suis le témoin – de sa naissance à sa représentation – une création parallèle qui me serait plus personnelle. Une finalité dans laquelle les arts et les êtres se confondraient, et qui transcendée par mon regard extérieur d’auteur, nous amènerait à l’écriture d’un documentaire de création. Un film où je laisserai ses propres acteurs conter une histoire qui n’est pas seulement la leur mais aussi celle que j’ai vue et ressentie. Le récit d’une rencontre avec un premier public, moi et la caméra. Le récit de la concrétisation d’un projet. Le récit d’une aventure artistique certes, mais essentiellement humaine.

 

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